samedi 3 mars 2018

Pourquoi apprend-on l'arabe ?

Alors que des raisons d'apprendre l'anglais semblent évidentes à l'heure actuelle, cette langue étant la langue dominante qui a su s'imposer partout dans le monde, de la technologie à la médecine, en passant par la culture de masse, le juridique, l'économie, la politique, la diplomatie et le militaire, apprendre l'arabe peut sembler être une démarche ayant peu de motifs incitant à son entreprise. 

Cela dit, il convient de se demander si cette conclusion est bien fondée et s'il est possible de trouver des raisons suffisamment attrayantes ou convaincantes d'entreprendre l'apprentissage de cette langue. 

Je crois qu'il est important de noter dès le départ que la langue arabe est éternellement liée à l'islam, tout comme l'hébreu est lié au judaïsme, ou le grec à la mythologie/l'antiquité/la philosophie antique. Cela veut dire que la personne de culture occidentale considérant le fait d'apprendre l'arabe à de grandes chances de concevoir directement cette langue comme un vecteur de religion, comme étant une part de la religion et comme étant une branche de la religion. 


Souvent, les personnes voulant apprendre l'arabe uniquement pour des biens terrestres, les affaires ou le mariage, sont plus disposées à apprendre un des dialectes arabes correspondant à la zone qu'elles visent. Cette raison d'apprendre l'arabe peut bien sûr évoluer de manière inattendue si la personne trouve d'autres raisons/intérêts au cours de cet apprentissage. D'autres personnes apprennent simplement l'arabe moderne (Modern Standard Arabic, MSA) pour pouvoir travailler dans les médias, en tant que présentateurs ou journalistes, ou dans des institutions de différentes envergures, en tant que traducteurs/interprètes, etc., mais là encore, ils sont forcés de croiser, au cours de leur apprentissage, les multiples références islamiques qui imprègnent la langue moderne, et encore plus forcés de faire connaissance avec les Arabes, leur monde et la culture arabe en général.   

En revanche, une personne de culture occidentale plus disposée à l'apprentissage de la religion islamique, entreprendra un apprentissage plus poussé et plus approfondi de la langue, cheminant, dans cette acquisition d'un nouveau savoir, comme un pèlerin en quête de vérité, de piété et de salut. Cela ne veut pas dire que l'on ne ment pas en arabe, mais cela signifie que l'arabe classique et son extension moderne sont profondément associés à la religion islamique et à tout ce qu'elle peut contenir de textes, d'histoire(s), de rituels, etc. Et il relève du défi quasi-impossible de laïciser cette langue-culture ou de la dénaturer. 

Les dialectes contemporains des divers pays arabes se sont écartés du socle commun qu'est l'arabe littéraire, et dont les règles d'une admirable logique ont été établies à partir du Coran, mais aucun de ces dialectes n'a proposé autant d'éloquence, de richesse et de profondeur lexicale, ou n'a avancé autant de cohérence et de solidité grammaticales que l'arabe littéraire, notamment celui du Coran, base des bases de la langue. Ces dialectes, outre le fait qu'ils peuvent être et ont été des outils de divisions régionales, sont aussi là pour faciliter la communication à l'échelle locale et populaire. L'arabe littéraire (ou "al-loughatou al-foSha") est un système de communication solide et flexible à la fois, évolué et capable de s'adapter à toutes les évolutions sociétales, qu'elles soient technologiques, scientifiques ou autres.   

L'arabe peut donc devenir un puissant ciment culturel et la généralisation de son apprentissage peut générer une plus grande union autour d'une langue-culture commune. Cet apprentissage doit dépasser les frontières du monde arabe et s'affirmer aux quatre coins du monde. En même temps, pour que ce ne soit pas le chaos, de véritables efforts de standardisation de cette langue doivent être fourni. Ainsi, on devra, par exemple, être en mesure d'employer le même mot pour "téléchargement" de partout dans le monde arabe et occidental (en voie d'arabisation), etc., et éviter que chaque Etat, auteur ou chercheur isolé se ramène avec ses propres termes incompréhensibles ailleurs.  

Alors, pourquoi apprendre l'arabe ?

On apprend l'arabe (et quand je dis "arabe", je pense avant tout à l'arabe littéraire) pour s'ouvrir à un nouveau monde qui nous dépayse complètement d'un autre monde qui a atteint ses limites en ce qu'il offrait d'horizons d'expressions sur la réalité du monde et le sens de la vie. On apprend l'arabe car on recherche du sens à cette vie, et ce sens ne peut être atteint qu'avec des efforts personnels pour se plonger dans les profondeurs et les subtilités des textes d'une culture ayant eu la présence du dernier des Prophètes (asws) en son sein. On apprend l'arabe car le véritable débat est là, au cœur de ces textes, de cette culture, de cette histoire, de cette mémoire, avec comme texte principal celui du Coran. 

On apprend l'arabe car on ne veut plus de traductions erronées, d'approximations, de sonorités en décalage avec la véritable sonorité historique d'une langue. On veut pouvoir imaginer les choses avec les sons originaux et ressentir les subtilités et les connotations des mots, des expressions et des phrases. 

La colonisation des esprits est aussi le fait de croire qu'il n'y a de vivant et d'ayant un sens pour nous que l'alphabet latin. Quand nous voyons l'alphabet arabe, nous nous sentons perdus, sans repère, jusqu'au moment où nous revoyons l'alphabet latin, qui nous rassure comme une maman (Marianne ?) rassure son enfant qui l'avait perdue dans un marché. Nous devons chercher à faire de l'arabe une source de repères, une source de sens qui interagit avec notre vie et pour cela, nous devons être quotidiennement en contact avec la langue, à travers le Coran et les textes de sources mais également avec les textes et vidéos modernes qui décrivent la vie contemporaine. Nous devons également essayer d'établir des espaces de communication en arabe, à la maison, en ligne ou ailleurs, de produire en arabe, de la pensée, des écrits, faire des exercices, etc. Nous devons placer l'arabe au-dessus de toute langue. 

Mais pourquoi nous sentons-nous perdus à la vue de l'alphabet arabe ?

Nous nous sentons perdus à la vue de l'alphabet arabe car comme je le disais au début, l'arabe est associé en grande partie à la religion et ce n'est pas un socle suffisant pour nous donner tous les repères langagiers dont nous avons besoin dans la vie moderne. Mais il y a autre chose. Nous pensons inconsciemment et à tort que l'arabe ne décrit pas tout ce qui existe aujourd'hui, rassurez-vous, c'est faux, il y a des mots pour tout en arabe, absolument tout. L'autre raison qui conduit à ce sentiment, c'est que le monde arabe n'a pas diffusé sa culture dans le monde occidental. Si, culturellement parlant, la Chine a diffusé le Kung-Fu et l'Inde, les films de trois heures pleins de chansons colorées, le monde arabe n'a rien diffusé en dehors du couscous et des pâtisseries, mais ce n'est pas de la culture. L'Occident a choisi des images de ce monde arabe, pourtant plus proche géographiquement parlant, qu'il a commentées négativement/péjorativement pour garder les gens à l'écart et ne pas éveiller leur curiosité. On a fait de l'argent avec des histoires de génie (type Aladdin ou Ali Baba). Du coup, ne (re)connaissant rien dans cette culture "arabe" de bien attrayant, de contemporain et de correspondant à notre monde de référence (l'Occident), sa langue, au mystérieux alphabet, nous semble être la dernière chose digne d'intérêt dans ce monde de la facilité et de la superficialité. Le monde arabe, ses gens, sa culture, son histoire et sa religion principale sont une part du monde caché que l'Occident ne dévoile pas. En ce qui concerne l'islam, qui est impossible à cacher, mieux vaut en donner une image repoussante et biaisée, aux traits larges, simples, dépassés et indignes d'intérêt.  

L'arabe est plus qu'une langue, c'est une des quêtes poursuivies par les véridiques qui souhaitent approfondir leur connaissance de l'islam. Une quête nécessaire pour se rapprocher d'Allah. En somme, j'ai le sentiment que l'arabe échappera presque toujours à l'occidental qui n'a pas la poursuite de la foi islamique dans le cœur. Je fonde cette conviction sur le fait que le summum de la langue arabe est le texte coranique, le top de l'éloquence, de l'harmonie, de la profondeur. L'enfant arabe apprend l'arabe naturellement, mais l'adulte occidental doit lui trouver un intérêt, une motivation pour apprendre, et toutes les langues n'ont pas le même statut, la même "aura" culturelle. Il ne sera pas aisément porté vers cette langue dans ce contexte, encore moins vers son approfondissement. C'est là que l'on réalise que l'étudiant occidental de la langue arabe est l'ultime non-conformiste, le sage déçu de ce monde, l'homme/la femme de foi, celui qui cherche de la profondeur, du sens, celui qui nage à contre courant du conditionnement moderne... C'est peut-être aussi TOI...